01/08/2014

Jean Jaurès, première victime de la Grande Guerre. Le CENTENAIRE

En cette fin de juillet 1914, la situation internationale est grave. Un mois auparavant, le 28 juin, l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc héritier d'Autriche François-Ferdinand et à de son épouse, la duchesse de Hohenberg, a déclenché des troubles en Europe entraînant la plupart des États dans une crise si forte qu'elle va provoquer en quelques jours d'une manière foudroyante le début de la Première Guerre Mondiale.

Jaurès, guerre,

Nous sommes le jeudi 30 juillet et Jean Jaurès rentre à Paris. A 52 ans, si Jaurès est le principal leader du mouvement socialiste français, la SFIO, il est aussi une personnalité célèbre du socialisme international depuis la disparition en 1913 de Auguste Bebel, grande figure de la social-démocratie en Allemagne. Grand admirateur de Gambetta et soutien du gouvernement de Jules Ferry, entré en politique en 1885, il est très attaché à la défense de la patrie comme il l'expliquera plus tard dans son livre "L'armée nouvelle" publié en 1911, dans lequel il critique la célèbre phrase de Marx : « les prolétaires n'ont pas de patrie. »

Convaincu que les guerres étaient provoquées par les heurts des intérêts capitalistes, il a toujours considéré qu'il était du devoir de la classe ouvrière de s'y opposer.

Donc, ce jour-là, quand il arrive à Paris, Jean Jaurès apprend que la Russie se mobilise.

Immédiatement, à la tête d'une délégation socialiste, il obtient aux alentours de 20 heures une audience avec le Président du Conseil René Viviani qui lui révèle alors l'état d'avancement de la préparation des troupes aux frontières. Jaurès le supplie d'éviter un quelconque incident avec l'Allemagne et Viviani lui répond que les troupes françaises ont conservé une certaine distance par rapport à la frontière afin d'éviter tout problème avec le pays voisin.

Le lendemain matin, la presse parisienne se déclare très pessimiste voyant l'Europe « au bord du gouffre ».

Pendant ce temps, Jaurès redouble d'efforts pour faire pression sur le gouvernement afin d'éviter la guerre qui désormais se profile en tous lieux, mais ses interventions restent vaines, ne parvenant pas à rencontrer à nouveau le Président du Conseil trop occupé à recevoir l'ambassadeur allemand porteur d'un ultimatum.

C'est alors qu'en fin de journée de ce vendredi 31 juillet, il se rend au siège de son journal (L'Humanité) pour y préparer un article de mobilisation anti-guerre qui doit être publié le lendemain, soit le samedi 1er août.

Auparavant, il se rend pour dîner au "Café du Croissant" situé à Paris au coin de la rue Montmartre et de la rue du Croissant, tout près des Grands Boulevards. Il est assis dos à la fenêtre ouverte sur la rue d'où l'observe depuis quelques instants l'assassin. Sur le trottoir l'homme sort un revolver et tire deux balles sur Jean Jaurès. Touché dans le dos, celui s'écroule, mortellement blessé.

Le meurtrier est rapidement appréhendé. Il s'agit de Raoul Villain, un jeune militant nationaliste âgé de 29 ans, adhérent de la Ligue des Jeunes Amis de l'Alsace-Lorraine regroupant des étudiants partisans de la guerre et proches de l'Action française. Lors de son arrestation, il déclare toutefois avoir agi en solitaire pour « supprimer un ennemi de sonpays ». En fait, Villain est un personnage sans envergure, insignifiant et plutôt déséquilibré qui s'est mis dans la tête depuis plusieurs mois de tuer celui qu'il considère comme un traître à la Nation.

En évidence, l'assassinat de Jean Jaurès provoque dans toute la France une très forte émotion. Mais elle va être très rapidement balayée par la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France le 3 août 1914, situation dramatique qui va faire basculer les pacifistes dans une "unionsacrée patriotique" face à l'agresseur allemand.

Jaurès combattant pour la paix

Durant ses trente années de vie publique, Jean Jaurès a mené un combat permanent pour empêcher les guerres, et bâtir, selon les derniers mots jaillis sous sa célèbre plume fructueuse, « une humanité un peu moins sauvage ».

Il faut dire que deux événements familiaux importants vont l'infléchir vers un puissant désir de paix : la mort de l'un de ses oncles en 1854 pendant le siège de Sébastopol lors de la guerre de Crimée et les graves blessures mutilantes d'un autre oncle lors de cette même guerre.

Ainsi, au cours de son premier mandat de député (1885 – 1889) il préconise la prudence et la négociation au moment des crises franco-allemandes qui alimentent fortement jusque dans les rangs de la gauche républicaine, un chauvinisme revanchard.

Par la suite, devenue socialiste, Jean Jaurès dénonce les périls qui menacent la paix en Europe. Il souligne notamment les graves dangers des rivalités commerciales, et condamne aussi un capitalisme « qui porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ».

De même, il analyse les alliances bi ou tri latérales qui peuvent devenir des engrenages, et conçoit leur dépassement par des concertations capables de désamorcer les diverses poudrières européennes, telle que celle des Balkans où s'affrontent clairement les nationalismes. Également, il n'hésite pas à critiquer le ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé dont il dénonce la diplomatie secrète et la servilité envers la Russie. Il s'insurge inlassablement contre le surarmement, appréhende le danger des conflits coloniaux qui nourrissent les rivalités entre puissances.

Concrètement, Jaurès, pacifiste, n'est toutefois pas du tout antimilitariste. En 1910, avec l'Armée nouvelle, il a su proposé un projet d'organisation défensive et populaire afin d'évacuer toute agressivité dans une défense nationale dont il ne conteste pas la nécessité.

Par ailleurs, au sein de l'Internationale ouvrière, il déploie une grande activité afin de souder les prolétariats européens par un combat pour la paix, n'hésitant pas à participer à l'organisation de grèves générales afin d'empêcher le déclenchement d'un conflit.

Enfin, Jean Jaurès poursuit sans relâche toutes les actions possibles pour éviter la guerre, et quand la catastrophe s'annonce, il va lutter jusqu'au dernier jour, isolé mais tenace, pour dissuader la classe politique et le gouvernement en place de se laisser entraîner dans un conflit tragique.

Hélas, Jaurès grand humaniste animé par une soif de paix et de progrès social, ne survécut pas à la folie des hommes nourris par la haine, la revanche, mais aussi par l'étrange vent de guerre qui soufflait alors sur une société en déroute. En quelque sorte, Jean Jaurès fut la première victime de la première Guerre mondiale qui allait faire des millions de morts.

Et s'il fut un certain temps quelque peu en marge de l'histoire, son action pour l'équilibre républicain et pour la paix souveraine est restée désormais ancrée dans la mémoire collective.

Aujourd'hui, plus que jamais, le discours socialiste du grand Jaurès aussi bien présent dans les partis de la gauche comme dans ceux de la droite, reste pleinement à l'ordre du jour.

Sachons nous imprégner de son enseignement et marchons sur ses pas pour reconstruire la démocratie dont les bases sont devenues extrêmement fragiles.

A l'heure actuelle, toutes les nations de la planète sont menacées : soit par un fascisme renaissant, soit par l'Islam radical capable des pires monstruosités.

Que le Centenaire de la mort de ce grand tribun nous interpelle, citoyens et politiques de tous bords, et nous conduise à agir pour rétablir partout dans le Monde où la guerre fait rage, une paix durable indispensable au bonheur des peuples.

Pierre Reynaud

Pierre Reynaud est l'auteur de « Révoltez-vous ! » un manifeste dédié à une révolution pacifique (Éditions Edilivre)

http://www.la-revolution2014.fr/